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Shell en son royaume
Le Prix du Premier Roman 2017 fait le choix pertinent de distinguer un récit où l’épreuve du merveilleux et du cruel est racontée à travers le regard d’un garçon baptisé Shell. Intense.

Par Ritta Baddoura
2017 - 12


Shell. Ce n’est pas vraiment son prénom. Plutôt une marque inscrite sur son blouson, celui qu’il a eu le droit de porter pour faire le plein aux clients, parce que ça lui donne de l’allure et que ça rend bien. Viviane, petite fille rencontrée sur les hauteurs dans le maquis, éblouissante et capricieuse qui fait souffler ou se calmer le vent, en a décidé ainsi. Elle lui dit qu’elle sera désormais sa Reine. Elle le baptise Shell et Shell obtempère. 

Shell a 12 ans et avant de vivre dans le maquis sauvage, livré à la solitude et aux éléments, Shell habite avec ses parents dans une station-essence au fond de la vallée, sur une route provençale peu fréquentée. Ses souvenirs d’école sont nombreux et vifs même s’il n’y va plus depuis un temps. Après avoir manqué de mettre le feu à la station et par extension à la garrigue, simple inadvertance, il surprend une conversation téléphonique entre ses parents et sa grande sœur, qui vit dans une ville lointaine et qu’il voit peu?: il sera bientôt placé en institution spécialisée. Alors il décide de remonter du fond de la vallée la route en Z, et prendre le maquis pour faire la guerre comme un homme.

Même si dans des conditions dénuées de confort et des moyens habituels de subsistance, Shell vit sur le plateau en son véritable royaume?: celui de la communion harmonieuse avec la nature. Le maquis lui apportera de rares rencontres bouleversantes, celles de Matti, le berger-fromager supposé mutique, et celle de Viviane, sa Reine vénérée dans une tendresse candide et inconditionnelle. La reine Viviane fait frémir le royaume de Shell. Elle en modifie les atmosphères par ses apparitions et disparitions. Son imagination fantasque et l’acuité de son esprit trouvent avec la présence pleine de Shell au monde, une éclosion ravissante et dangereuse pour les deux enfants.

Le récit dure le temps de l’été. Celui passé par Shell dans le maquis. Celui que dure sa chute depuis l’insouciance, d’abord acculé par les adultes et les enfants puis par un bourgeon de femme. Que dire de ce petit roman. Relever sa fibre imaginaire, sa poésie, son abord de l’enfance, de la différence, ne suffit pas. Tout au long de sa lecture règne un univers particulier. Jean-Baptiste Andrea raconte cet univers d’une voix juste. Belle simplicité qui a le goût d’un fruit nouveau.

Donnant la parole à Shell, le récit est la transcription directe des pensées et des états d’âme éprouvés par le petit garçon. Sensorialité et synesthésie, Shell vibre avec le monde. Shell raisonne à sa façon, avec une logique propre à ce qu’il est et à son enfance. Shell cherche à concilier sa cohérence avec celle des autres, et tente de s’affranchir. La lecture nous place d’emblée au cœur de tout cela, au point d’abolir les références et jugements formulés de l’extérieur. Dès la première ligne, percevoir et penser – ou se heurter à l’incompréhension – à partir de l’intérieur de Shell, est naturel. Le reste?: les codes, les normes et les rituels qui organisent la place et les rôles des femmes et des hommes dans la société et les fait tenir, n’ont plus de pouvoir.

Shell cherche sa coquille et veut aussi rester papillon. Shell surtout, mais aussi Viviane lorsqu’elle est avec lui, et Matti, semblent d’ailleurs, alors même qu’ils sont tout le temps, et depuis le début, entièrement LÀ. Dans l’écriture de Jean-Baptiste Andrea, le maquis, le climat, les êtres, sont vivants et foisonnants. Cette intensité se maintient tout au long du récit. Il s’en dégage une incandescence rare.
 
 BIBLIOGRAPHIE
Ma Reine de Jean-Baptiste Andrea, L’Iconoclaste, 2017, 240 p.
 

 
 
© Vinciane Lebrun-Verguethen
 
2020-04 / NUMÉRO 166