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Vieux Ikoongo ou le jeune Pygmée qui se voulait mondialiste


Par Valérie Cachard
2016 - 02
Le parcours de In Koli Jean Bofane est multiple. Il a mis, en quelque sorte, son nez partout, a observé le Congo sous toutes ses coutures, en y vivant, puis à partir de la Belgique où il réside depuis les années 1990. Après son premier roman Mathématiques congolaises, il revient avec Congo Inc. : Le Testament de Bismarck, qui lui a valu le Prix des Cinq Continents 2015.

On y retrouve une grande liberté d’écriture, une parole témoignage d’un auteur qui n’a pas peur de dire le monde d’aujourd’hui. Sans compromis. Sans concession. 

Depuis sa découverte d’Internet grâce à l’installation d’une antenne relais près de son village, le jeune Isookonga, Pygmée ekonda, a décidé de partir de chez lui pour accomplir sa destinée de mondialiste. L’écran de l’ordinateur qu’il vient de voler lui ouvre une fenêtre sur un monde réel insoupçonné depuis le cœur de la forêt équatoriale. Un matin, le voilà en route pour Kinshasa. Le petit homme, vêtu d’un jean Superdry et d’un tee-shirt à l’effigie de Snoop Dogg voit grand. Il se veut partie intégrante de cette vie dans laquelle tout circule, s’achète et se vend. Son flair lui permet, quelques jours à peine après son arrivée dans la capitale, de lancer avec Zhang Xia, un jeune Chinois abandonné par son patron, une affaire de sachets d’eau potable. Il s’allie aux Shégués, ces enfants qui vivent dans les rues de Kin, discute stratégie politique et conquête de territoire avec un ancien chef de guerre… Il ne veut plus être simple exécutant de l’œuvre à laquelle le Chancelier Bismarck l’invite à participer dans son propre pays en 1885. Il veut détenir le pouvoir sur les choses qui l’entourent.

On sourit beaucoup en lisant In Koli Jean Bofane. On rit haut et parfois jaune. On grince des dents et parfois on détourne les yeux de la page tellement ce qui y est relaté est ignoble. Le roman est dédié aux filles, fillettes et femmes du Congo. Suivront l’ONU, le FMI et l’OMC. Sans tomber dans le pathos, juste dans un constat réel mais effroyable accompagné de descriptions chirurgicales, il nous rappelle les méthodes de nettoyage ethnique et tout ce qu’y subissent les femmes en particulier. C’est un livre qui pointe du doigt certains silences, certains oublis, certaines restructurations des organismes internationaux bien pensants. « Quand on signe des accords de paix, on liquide tout, on dépose le bilan comme avec n’importe quelle société, ensuite on recrée le groupe armé mais avec un autre sigle ; c’est comme ça que fonctionne un système économique qui veut aller de l’avant. » Le monde ne se divise plus en bons et méchants, et sous le casque bleu porteur de paix se cache aussi un homme. Ce roman qui dénonce le colonialisme économique qui prend d’assaut le continent africain aujourd’hui, raconte comment tout continue à se décider ailleurs, entre Shanghai et New York. Il nous dérange puisque tout le monde en prend pour son grade. Des pasteurs des nouvelles églises aux journalistes, des africanistes aux gens des Nations unies, « sous la vaste paillote, la clientèle nombreuse était composée de Congolais et d’Occidentaux, pour la plupart spécialisés dans la culture, l’humanitaire ou la résolution des conflits, des matières qui semble-t-il n’étaient pas pratiquées comme il fallait par les populations autochtones ».

Lucide, effarant, déroutant, ce roman pulse grâce à une langue vivante et à une construction mêlant quotidien plus au moins anodin et moments de violence inouïe arbitraire ou préméditée. On ne sort pas indemne de cette lecture, mais certainement moins naïf.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Congo Inc. : Le testament de Bismarck de In Koli Jean Bofane, Actes Sud, 2014, 204 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166