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Claudel et Pennac en BD !
Deux ouvrages littéraires signés Philippe Claudel et Daniel Pennac viennent d'être adaptés en bande dessinée. Une double réussite !

Par Jean-Claude Perrier
2015 - 07
L’œuvre au noir de Claudel et Larcenet
 
Le noir et blanc convenant à merveille à l’univers de l’auteur des Âmes grises (Stock, 2003, prix Renaudot), le dessinateur Manu Larcenet, aussi prolifique qu’éclectique, s’est lancé dans une adaptation d’un autre roman de Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck (Stock, 2007, prix Goncourt des lycéens). Une entreprise ambitieuse, puisque ce gros volume de 158 pages, format à l’italienne, très élégant, intitulé L’Autre, n’en constitue que le premier volume, sur deux prévus. C’est un livre de silences, de déserts glacés, de violence, allégorie de la guerre et de ses dérives, une fable philosophique très actuelle. Dans un pays jamais nommé mais à dominante germanique, où la guerre vient de faire rage, Brodeck revient dans son village, après deux ans passés dans un camp de concentration où il a été traité littéralement comme un chien. Agent des eaux et forêts dans le civil, Brodeck arrive à l’auberge Schloss, où il retrouve ses concitoyens, des brutes épaisses soudées par un redoutable secret : ils viennent de tuer l’Anderer, l’Autre, un étranger aimable et cultivé, naturaliste venu s’installer chez eux il y a quelques années, et qui s’est mis tout le monde à dos parce qu’il a osé poser des questions sur les montagnes, les paysages qui l’intéressaient. Chez ces gens-là, la différence suscite la méfiance, puis le rejet, et même la mort. Pour éviter des ennuis, ils chargent Brodeck, qui sait écrire, de rédiger un rapport « objectif » de ce qui s’est passé, et de le leur soumettre. Il accepte, mais, de retour chez lui, se met à rédiger, pour lui seul, le récit authentique de ce qu’il a vécu. Et c’est ce texte-là que nous lisons. Comment survivre dans un monde barbare, et persuader les autres que « l’on n’y est pour rien » ? C’est là toute la problématique du roman de Claudel, transposée dans ce bel album, très filmique. Dans le second volume, le lecteur devrait apprendre comment est vraiment mort l’Anderer, et ce qu’il adviendra de Brodeck.

Un souvenir d’enfance de Daniel Pennac
 
Avec la complicité de la dessinatrice Florence Cestac, laquelle a déjà collaboré avec plusieurs écrivains (comme Tonino Benacquista ou Jean Teulé), Daniel Pennac nous raconte un épisode puisé, semble-t-il, dans sa jeunesse, même s’il avoue, au début, s’être octroyé quelques « licences romanesques ». L’histoire se situe dans les années 60 à La Colle-sur-Loup, charmante petite ville de l’arrière-pays niçois où les frères Pennac, Bernard l’aîné et Daniel le cadet, une dizaine d’années à ce moment-là, passaient leurs vacances chez leur grand-mère. Et où la pétanque était, et demeure encore, sport national. Justement, c’est sur le terrain de pétanque, puis au bistro du coin où il trichait au bridge, que le narrateur fait la connaissance d’un personnage hors du commun, Jean Bozignac, et de sa femme Germaine. Un couple de « vieux » rentiers, amoureux fous comme au premier jour, libertins et libertaires, qui ont juste passé leur vie à s’aimer. Un peu égoïstement, sans enfants. Mais sans manquer de générosité pour autant : pendant la guerre, les Bozignac ont caché et sauvé Rachel, la meilleure amie juive de Germaine. Il faut dire que Jean était habitué à lutter pour ceux qu’il aimait : fils d’une grande famille aristocratique et vinicole, il avait refusé d’épouser la riche héritière qu’on lui destinait pour épouser Germaine, une « moins-que-rien », femme de chambre de sa mère. Sa famille, du coup, l’avait répudié. Et il avait vécu de ses rentes, et du commerce de livres anciens. À sa mort, Jean léguera ses livres à Rachel, et sa voiture, une vieille Dauphine, à Daniel, devenu et resté leur ami. Ils avaient décidé de mourir ensemble, de se suicider. Ils n’y sont pas tout à fait parvenus, mais presque. C’est une jolie histoire d’« amour exemplaire », donc, contée avec vivacité – et quelques blagues de potache lorsque les deux auteurs se mettent eux-mêmes en scène et en abyme travaillant à leur livre. Le dessin de Cestac est efficace, le récit très « pennacquien », nourri de références littéraires (proustiennes, en particulier), drôle, tendre, porteur de belles valeurs humaines, comme la fidélité à soi-même, la fraternité, le goût du bonheur… Une lecture qui fait du bien.





 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Le rapport de Brodeck, tome I : L’autre de Manu Larcenet, d’après le roman de Philippe Claudel, Dargaud, 2015, 158 p.
Un amour exemplaire de Daniel Pennac, Florence Cestac, Dargaud, 2015, 58 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166