Par Fadhil al-Azzawi
2016 - 03
Né en 1940 à Kirkuk, basé depuis 1983 à Berlin, Fadhil al-Azzawi a joué un grand rôle dans l’innovation poétique irakienne des années 1960. Ce poète et romancier fonde en 1969 la revue d’avant-garde irakienne Shi’r 69 qui fut interdite dès la parution du quatrième numéro. Al-Azzawi quitte l’Irak et s’installe en 1977 en Allemagne où il regagne les bancs de l’université et décroche un doctorat. Son œuvre compte des romans (traduits en anglais et en allemand), des essais et une dizaine de recueils de poésie en arabe ainsi qu’un recueil écrit directement en allemand. Si ses poèmes ont été publiés dans diverses langues, Fadhil al-Azzawi a lui-même traduit plusieurs auteurs (tels que Robert Musil, Hans Magnus Enzensberger et Christian Morgenstern) de l’allemand et de l’anglais vers l’arabe. Il a longtemps travaillé en tant que journaliste indépendant pour divers journaux et magazines littéraires avant de se consacrer à l’écriture. Selon Abdul Kader el-Janabi, la poésie de Fadhil al-Azzawi « s’inscrit dans un registre fantastique et ne cesse de questionner la réalité arabe avec un lyrisme imagé et plein d’humour ».
Doigts
La répression se tient debout
Devant un arbre
Et tel un roi devant son peuple
Fait des signes de la main
À ses enfants
La répression va à l’histoire
Et lui rend ses faux billets
La répression pose sa main humide
Sur mon front
Et essuie mes larmes
Avec ses doigts.Â
Le piège
Parfois traversant un fleuve
Nous nous voyons dans une autre époque
Parfois, fixant un miroir
Nous nous voyons dans la prison
Parfois harponnant une femme
Nous nous voyons dans l’exil
Parfois lisant des poèmes
Nous nous voyons dans la prose.
Savez-vous ce que nous devons faire ?
La porte
Une porte condamnée dans un champ abandonné
Des oiseaux blancs
Brillent sur une violette noire où le sang a coulé
-Quelles sortes de secrets peut garder une porte condamnée ?
-L’ouvrirai-je
L’enfant s’approche faisant fuir les oiseaux
-N’ouvre pas une porte condamnée
Peut-être venant du désert arabe
Vont surgir tes aïeux,
Une nuit éternelle,
Un soldat poignardé en plein cœur,
Ou encore un bourreau
Qui te tranchera la tête
Laisse cette porte de la nuit, mon enfant,
Laisse-la briller
Comme argent dans un champ abandonné,
Condamnée.
La cheminée
Une cheminée exhale de la fumée dans le vent
Parfois elle exhale des rêves,
De la tristesse
Elle exhale des traces d’hommes
Rapportant dans la chambre la parole des anciens
Elle exhale le silence d’une femme
Entre les bras d’un homme
Se rappelant la capitale de terreur
Érigée dans le désert
Elle exhale nos souvenirs
Cette cheminée nous exhale jour après jour
Dans la nuit d’un autre ciel
Dans le vent.
Traduits de l’arabe par
Abdul Kader el-Janabi et Mona HuertaÂ