Par Hind Shoufani
2015 - 10
Née en 1978 à Beyrouth, Hind Shoufani est une cinéaste et poétesse palestinienne d’expression anglaise. Elle a publié deux recueils: Inkstains on the edge of light (2007) et More light than death could bear (2010). Elle a réalisé divers court-métrages depuis 1998 et a signé son premier long-métrage en 2015, un documentaire intitulé Trip along exodus.
Boucles
Je sors de la maison qui a abrité notre chagrin pendant vingt-cinq ans
je marche dans ces rues qui n’ont jamais rassemblé nos fragments
j’achète des légumes qui n’ont jamais écarté les cancérigènes
nous habitons
cette célébration de la mort autour, ces vies qui se traînent en boitillant
bon marché comme ma liste de courses d’houmousÂ
arabe et de cerises que je dévorerai plus tard
comme ce balai à franges en plastique pour l’ancienne maison de mon père.
(…) Mes pieds avancent péniblement.
Le voici. Voici le coiffeur. Son nom est Omar. Il a probablement
les cheveux gris à présent, là où je vis un jour la jeunesse,
où je me souviens d’une barbe noire.
Je me souviens. Une chambre.
Une chambre à coucher. Un homme gentil avec des lames faites pour tondre.
Ça va s’estomper de toute façon, autant s’en défaire d’un seul coup.
Brave brave
femme palestinienne
qui voyait la beauté par-delà les nuances d’ombre à paupières
(…) Omar passe
les cheveux de ma mère sont sur le plancher,
ses yeux vert piscine sont denses
et calmes et pleins de matière sous-marineÂ
que nous n’avons jamais pu exhumer depuis
jamais pu embrasser proprement. Les cheveux de ma mère sont sur le plancher,
je dois me souvenir comme il était gentil de venir
chez nous et d’être témoin d’un rite sacré
que personne d’autre ne devait voir.
(…) Je marche, la porteÂ
du coiffeur est fermée. Je ne l’ouvre pas. Je ne l’ouvrirai jamais.
Derrière elle, des femmes
de Damas se cachent etÂ
gloussent et fument et boivent du café turc tout en
inhalant la teinture pour les cheveux et les yeux secs, discutent de
l’éloignement de leurs maris. Soupirant, sèche-cheveux
et ongles rapportésÂ
tentant de s’ajuster.
Je marche,
les mains d’Omar coupent gentiment
une nouvelle fois les cheveux
de ma mère heureuse.
Je marche, et j’achète ce balai à franges
j’achète des cerises
à la teinte rouge de tout ce qui fut jadis.
Pour l’éternité,
les ciseaux du coiffeur témoignent du chagrin récolté pendant des décennies
mis en bouteille dans les caves profondes et sûres de tout ce qui est suranné
les crevasses des maisons et des ruelles anciennesÂ
le moutonnement de la poussière dans les espaces inhospitaliersÂ
les petites choses qui annoncentÂ
la perte imminente,
les cadres de portes fermés qui laissent toujours entrer la mort (…).
Traduit de l’anglais par Jacques RancourtÂ