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Poème d’ici
Noir et rouge


Par Joseph Noujaim
2015 - 01
Joseph Noujaim prenait un soin particulier de ses recueils, mais ils étaient depuis longtemps introuvables en librairie. Il voit, plus de trente ans après sa mort, son œuvre poétique réunie grâce à un nombre de fidèles dont le préfacier Joseph Sayegh. (Shi‘r Joseph Noujaim, Dar Nelson, 2014, 416 p.) L’événement mérite d’être signalé, s’agissant d’un poète authentique et d’une voix originale et classique.

Noujaim est né à Cana (Sud Liban) et partagea sa vie entre Beyrouth et Paris. Ses émissions radiophoniques nocturnes sur les poètes et poétesses arabes restent mémorables ainsi que ses cours d’enseignement. Son existence brève (1928-1983) fut dominée par l’accord avec une œuvre exigeante vouée au culte de l’éros, des sens, de la femme (avec une prédilection manifeste pour le vocable et le sujet « bint » [fille]), de l’ivresse, de la poésie.

Sa première œuvre est une tragédie en vers, Absalon (1953) composée dans le sillage de Qadmous et surtout de Bint Yaftah de Saïd Akl : sujet puisé dans la Bible, drame familial centré sur l’amour et la révolte filiaux, mètres classiques, leçons de Racine et du symbolisme français retenues... Cet écrit paraît pour la première fois en ouvrage après ne l’avoir été à l’époque qu’en épisodes dans la revue Al-Hikma de Fouad Kenaan. Sont publiés ensuite les recueils Jassad (Corps), 1960, Takht (Couche), 1969, Al-Qasîda el-mal‘ûna (Le poème maudit), 1970, Banât (Filles), 1973. Un dernier recueil posthume leur est aujourd’hui ajouté.

Le projet mallarméen de « reprendre à la musique son bien » est commun aux poètes de Rindala et de Jassad, mais pour le second, la lune a disparu et il ne reste que la nuit. D’où l’atmosphère sensuelle liée au mal et nourrie de transgression qui tend sa poésie et taille dans des mètres arabes maîtrisés et l’élection d’affinités sonores son parfait correspondant.
 
 
Noir et rouge

La nuit est seulement part de ma confidence
J’en fais ostentation en toute malfaisance
Seigneur de la route je m’enfouis 
En perpétuelle déviance
J’ai accepté pour lieu
Le noir jeté sur ma conscience
J’y puise des plaisirs 
Criant ardents à ma mouvance
Et l’ivresse saccage mes nerfs
Par une coupe gorgée d’impudence 
Servie par la générosité de Dieu 
Dans l’âge le plus rance
Biens relevant de l’invisible
Versés sur l’exubérance 
La déité se met presqu’à la traîne
Quand, en sacralité, la souillure avance
Un univers en vues implore grâce 
Criant : « Monstrance! »
La mettre à nu est petit jeu 
Sur couche en transe 
Je la dégage de son âme 
Et m’évanouis en turbulence 
Je la couvre de baisers, je la hume, je me jette 
Sur un corps débordant d’insistance
Sur une chair de miel et d’amertume
Sur un encens dont épuise la fragrance 
Hommage à ses seins ! Je suis comblé !
Dépouilles d’âme : Recherchez délivrance !

Traduit de l’arabe par Farès Sassine 

 
 
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