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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici



Par Afaf Zourgani
2013 - 12

La poète marocaine Afaf Zourgani est née en 1973 à Casablanca. Elle travaille à la Galerie d’art Al-Manar puis au musée d’art contemporain Villa des Arts avant de devenir journaliste. Elle publie en 2009 un recueil de poèmes en prose Les douze saisons d’El Beïda, accompagné d'illustrations de l’artiste Abouelouakar aux éditions Al-Manar, et a participé à l’essai épistolaire collectif Nous sommes tous des migrants paru aux éditions Schortgen.

 

Conte de l’indescriptible

La ville est vieille de plusieurs siècles. Te le disent ses maisons qui se tiennent cheminées hautes et ses ponts forteresses mille fois arpentés. Mais il te semble que pour tes yeux et ta mémoire ses ruelles sont nées d’hier. Pas le moindre souvenir lié à ses murs que tes mains caressent parfois indifféremment. Ne te chuchotent pas un seul fait d’antan. Son histoire s’est déroulée ailleurs que ton histoire. Ses arbres sans feuilles te signifient que tu es seulement de passage. Tu te perds dans ses allées bien taillées. La solitude est une bien étrange affaire. Tu ne peux même plus t’asseoir sur les bancs vides parce que les paroles datent de bien avant ton arrivée. Que raconter au merle qui sautille déjà au loin. Au pigeon qui essaye de se pendre désespérément à la branche nue. Que raconter au couple qui se niche dans le confort de son coin. À la sculpture figée dans sa pensée et dans son geste oublié. Faire le tour de quoi. Aller à la rencontre de qui. Longer quel bord. Il est un retour de prévu mais l’angoisse te susurre. Et s’il ne l’était pas. Le drame serait alors, dirait la ville d’ailleurs, l’impossibilité de me décrire ou de m’aimer.

 

Les compagnons

Il accrochait ses trouvailles sur un feu tricolore d’al beïda. Un pack vide de jus d’orange ensoleillé. Une petite bourse de dragées bleu délavé et sale. Une roue de bicyclette. Une cafetière hors usage. La photo d’une actrice à la Marylin Monroe. Et même un pinceau usé pour repeindre les murs qui n’ont pas su l’enfermer. Chaque jour, un présent à la ville. Mais personne n’a compris. Un jour, il est parti. Sur le feu rouge, un fil de fer pend inutile. Plus rien ne s’accroche à lui. 

Ainsi vont les heures inégales.

(…) Il frôlait le fer et s’installait à son aise sur le bitume tout à sa calligraphie blanche sur gris noir. Autour de lui l’aller et venir des tombes blanches et celles sans stèles mais il n’en a cure il n’a souvenir que du trait fidèle à l’écrire. N’interrompt pas sa longue marche vers le point du taire mais tu ne t’es jamais arrêté pour lire. Un jour, il est parti. Qui va raconter la ville comme à sa guise. Qui va libérer le fer et sa prise.

Ainsi sont les heures inégales. 

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166