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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Poème d’ici



Par Golan Haji
2012 - 06
Golan Haji est né en 1977 à Amouda, petite ville kurde du nord de la Syrie. Il a étudié la médecine à l’université de Damas. Actuellement traducteur de littérature anglaise et américaine, il a entre autres traduit en arabe Mark Strand et R. L. Stevenson. Son premier recueil de poèmes, Il appela dans les ténèbres (Damas, 2004) a reçu le prix Mohammed al-Maghout. Son deuxième, Il y a quelqu’un qui voit en toi un monstre, est paru lors de l’événement «?Damas, capitale de la culture 2008?». Son troisième recueil, Ma maison froide et lointaine, est à paraître aux éditions Dar al-Jamal, Beyrouth, 2012. Golan Haji contribue régulièrement à la presse culturelle libanaise. Il a participé à plusieurs festivals de poésie en Syrie et dans le monde.
 

Je suis un Kurde intrépide disait-il quand le camion l’a renversé à deux heures du matin
 
 
Je n’ai pas vu son visage resplendissant, début novembre dernier, 
le soleil de l’automne promenait ses tigres blonds dans ses cheveux 
sur ses épaules, une chemise de la couleur d’une vieille cicatrice
et entre ses dents, un cœur de laitue blanc et frais. 
Je n’ose pas sortir maintenant.
Mes obsessions sont disséminées comme des espions. 
Dans ce calme que j’ai toujours attendu, entre les vieux poivriers, derrière les cannes des cyprès, j’écoute la chute du crépuscule, j’écoute la nuit qui s’accumule autour de moi. Le froid. L’obscurité. Les étoiles brillent sur les mousses endormies. 
(…) C’était un cireur de chaussures, buveur,
il plaisantait à propos du gardien du cimetière qui fréquentait le tripot aux murs d’argile
tout au long de février fou, 
il s’enivrait avec l’argent des tombeaux qu’il creusait, 
il se précipitait vers le Sud, ivre, avec l’argent de la charité,
à chaque fois que la gorge du bossu proclamait «?Dieu est grand?» du minaret de la grande mosquée
et que les passants se figeaient un instant, dans le marché aux légumes
certains récitaient la Fatiha en hâte, les paumes ouvertes.
Je ne l’ai pas entendu, après être resté si longtemps ici,
dire?: j’ai toujours senti que je n’étais pas ici, je ne suis pas d’ici et je ne suis pas
ici. 
(…) Je n’ai pas vu sa main qui a saigné
quand, à l’aide de cordes, il a tiré la jeep militaire en panne.
Je n’ai pas vu la déchirure de sa chair, recouverte par une terre lointaine, là-bas,
la terre est ciselée par les sabots des chèvres
le cimetière se distrait en écoutant un aboiement long et perdu,
et le vent de la nuit entasse de légères pierres blanches
comme les nuages du printemps sur une maison sordide.
Je dois donc le croire?: c’est la seule vie possible.
Que je dise cette fois, me levant de la pierre qui m’a gelé le derrière,
et les yeux plus proches de l’étoile que de la montagne pâle?:
Ce qui alourdit mes épaules, c’est la peur, pas l’amertume ni la nostalgie.
Le jeune homme a été tué. Et qu’en est-il de moi??
(…) 
Traduit de l’arabe par Nathalie Bontemps
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166